Promotion canapé

Publié le 26 Juillet 2009



Le lapin se contempla dans la psyché de face puis de profil. Il se préférait de face car cela flattait sa dentition. Et puis son image de côté lui donnait les muscles trop charnus. Il poussa un soupir, puis fit quelques sauts silencieux sur l’épaisse moquette en direction du salon. Ses efforts avaient porté leurs fruits : finis la basse-cour et ses humiliations, le froid, les caquètements continuels… Il avait obtenu le statut d’animal de compagnie. Foin du chat lubrique, du chien pot-de-colle et du serpent morbide. Ses faiblesses discrètes et vite sèches, son charme et sa réputation de jovialité avaient eu raison de ses rivaux. Deume l’avait vite adopté. Le pauvre : abandonné par son seul amour. Il s’était approché de la fenêtre de son bureau de la SDN, quand soudain son visage s’était contracté dans un rictus qui se voulait un sourire :

- Et si j’achetais un lapin ?

Il se souvenait de son arrivée à la ferme, du costume gris qu’il portait, de la petite caisse de transport toute neuve avec son tapis de coton moelleux.

Le lapin bondit sur le canapé. Il ramena habilement sa pelisse en arrière avec ses quatre pattes pour se confectionner une une écharpe-oreiller. Il y avait un concert sur Arte, Humoresque de Zemlinsky. Le lapin observa le public qui applaudissait. Quelle étrange coutume que de s’agiter ainsi comme des abeilles. Les premiers musiciens avaient dû prendre leur public pour des analphabètes, ou alors c’était l’inverse. Il entendit un cliquetis dans la serrure.

- Encore devant la télé ?

Il ne lui en voulait pas. Dès leur rencontre, le lapin avait vu en lui un maître affectueux et il continuait à le sentir comme tel. Deume le lui montrait moins, voilà tout. 
Son bienfaiteur disparut quelques instants dans le dressing, puis dans la salle de bain et la cuisine. Il revenait avec un énorme sandwich au pastrami. Pris d’un remord, il abandonna l’assiette sur la table basse et saisit le lapin par les oreilles pour le poser sur ses genoux.

- Par le Grütli qu’il est long, se dit-il, habitué à le voir roulé sur lui-même. Il regretta le boa, mais se dit qu’il aurait avalé le lapin. Il pensa que ce serait bien de relire maintenant Le Petit Prince en saisissant la quadruple tour de matzot.

Il caressa machinalement le lapin qui s’était endormi.

Rédigé par C. Mazières

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